20 juillet 2015 12:03 • PR vers Le Claux - Puy Mary - Cantal

Poings de fuites, juste échappés…

Fragment 85,
d'éboulis

7 août 2015

Fragment 85,
d'éboulis

7 août 2015

Je te tutoie toujours, comme dans cet épilogue dédié à toi et au reste du monde, aux restes de ton monde, oui. Mais je regarde cette énième photo, de toi, prise très récemment à 1400 mètres, un point sur la carte dit «la garde», ruines surplombant la vallée, une vallée cantalienne, peu importe laquelle; juste comprendre que de ce point l’on voyait loin venir l’autre. L’inconnu, le pressenti ou le redouté. Alors on gardait.

Sur ce bloc de pierre, tu sembles bien; tu as assumé cette rando de plus, la fin en un aigre raidillon dans ce Cantal séché de canicule de juillet. Je vois les touffes vertes émerger dans l’herbe blonde, et je t’imagine dans ce qui t’était encore une fois promis en cette fin de juillet, un nouvel internement : après t’avoir sorti au bout de trois semaines de ton isolement il a été tenté à nouveau de t’institutionnaliser. Il y a eu des prescriptions, des négociations, des efforts faits de part et d’autre ; las, nous t’avons à nouveau enlevé aux mains des pompiers cette fois, répondant à une nouvelle demande d’internement de ton centre «terrorisé» par ton comportement.

On assume, nous t’avons avec nous depuis 3 semaines déjà; après une semaine de Cantal, on repart se perdre dans l’Aveyron. Sans appréhension. Et, intuitifs, on a commencé à épurer ton cocktail pharmacologique. Avec la hargne de ceux qui n’ont plus de perspectives. Et l’audace impie du profane pour bricoler l’alchimie moléculaire psychiatrique. Sans plus vraiment de référents médicaux, mais avec des convictions et les yeux ouverts, car tu t’es calmé, assagi, les nuits sont longues, tu sembles à nouveau heureux. De vivre. Avec nous. Nous, au contact permanent, à l’écoute, à la sollicitation, avec comme seule science celle de notre histoire, de nos intuitions. Et quelques nœuds affectifs bien serrés. Et beaucoup à démêler. On a trop dérouillé pour crier victoire, mais se faire mutuellement confiance…

[ En contrebas de notre gîte, un vieux cerisier cantalien d’une telle stature que la récolte par l’homme en est désormais impossible. Et plusieurs couples de geais, qui se régalent des fruits tombés au sol. Ils sont si près que je peux détailler leur manège : un vieux et penché bois de clôture leur sert pour dénoyauter les cerises. En les poussant au plus profond des fentes du bois vieilli, la pulpe se sépare naturellement du noyau. Et les noyaux restent, coincés, ornements clairs dans le bois sombre, dans un alignement de boutons de pantalon de charro mexicain.

Il nous reste à apprendre, toujours, donc à profiter du doute. Et faire confiance au savoir comprendre, inventer, au savoir s’adapter ou survivre de tout ce qui croît sur ce monde-là. Et ne croire qu’à ça.

Renouer les liens avec Portishead, dont la musique inclassable te calmait il y a déjà si longtemps; peut-être y trouvais-tu un reflet sonore, vibrant et si particulier de tes mélodies internes.

Je n’irai pas plus loin ici, manque de temps, mais cette courte note rencontrera au hasard certains, je l’espère, certains de ceux qui ont ressenti un jour en venir à leur bout, ceux qui ont cru voir partir dans une larme noire d’une inflammation nyctalope leurs derniers espoirs de lumière, qui ont cru voir sceller dans une douleur persistante les derniers pas faits.

Cela doit être la raison d’être de cette note; apparente. Prologue apparent. Au-delà d’une sorte de démission envers ceux qui nous ont suivis, une insulte à leur empathie, arrêter ici notre chronique serait un échec de plus; je l’ai compris dans cette image, qui n’a rien d’exceptionnel sinon dans sa superposition avec celle qui aurait dû être, sans notre obstination et notre confiance en ce que tu es : toi, privé de stimuli, sédaté, assis sur un lit attendant en regardant la lumière que le temps passe. Et nous, en filigrane ténu, à compter les noyaux dans une fente de bois gris.

Tentative. De durer. Et serrer les poings, de colère aussi, mais sans fuir.

[Je desserre, le poing, libérant les jointures violacées; au fond de la main git un noyau pâle sur un lit de pulpe entre rubis et amarante.]

À bientôt, à tout de suite, toi mon grand fils autiste qui dort enfin.

Armand T.

20 juillet 2015
19:10
Vallée de la Jordanne
Cantal
20 juillet 2015 19:10 • Vallée de la Jordanne - Cantal

Sauf indications contraires, textes, dessins et photographies sous © Didier-Trébosc

autisme-hieroglyphe

Portishead 2022, au soutien de l’Ukraine…

Portishead est remonté sur scène dans le cadre du concert de charité organisé par War Child pour l’Ukraine.
Portishead a joué son premier concert depuis 2015 lundi 2 mai 2022, dans le cadre d’une soirée au profit de l’Ukraine organisé par War Child UK.

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