10 septembre 2015 11:28 • Céleri-rave - Puyloubier
De profondis…
Fragment 76,
d'un goût amer
d'un goût amer
16 novembre 2015
Fragment 76,
d'un goût amer
d'un goût amer
16 novembre 2015
14 novembre 2015, lendemain des attentats. «De profondis…», le titre de la note qui suit et qui devait être publiée cette semaine, voire ce jour, parlait de profondeurs insondées; mais pas celles d’où surgit l’horreur d’aujourd’hui. Elle parlait d’obscurantisme, de bacilles, d’intolérance, de technocratie, elle s’inquiétait peut-être de la montée des intégrismes de l’intérieur de notre monde, de relents violents et bruns ; c’était le énième reflet de notre combat à nous, presque conceptuel devant la guerre déclarée ce jour, à des innocents de surcroit. Cette note recelait sans doute un peu d’humour, de décalage, d’espoir, de vitalité, à différents degrés. C’est ce que ces fanatiques ont aussi voulu tuer aujourd’hui, ici en France et vis-à-vis de leurs propres frères depuis 10 ans. J’essayais de faire la part des choses entre l’apport à la littérature d’un fabuleux écrivain et l’apport aux théories fascistes de ses écarts xénophobes. Ceci semble bien vain et j’aurais évidemment tendance aujourd’hui à ne pardonner aucune dérive. Avec l’effroi du Bataclan, je pense à mes étudiants, à leur vie qui se construit, à leurs passions, à quelques-uns des gentils métalleux qu’il m’a été donné d’enseigner. Et je projette, forcément. Empathique. Ma voix est faible, mais dire aux déments : je sais qu’on saura rester debout, dignement, comme pour notre enfant depuis 23 ans, je sais qu’il y aura un après Paris et que cette horreur saura faire germer une cohésion démocratique, puissante, mais aussi tolérante, pensante et proactive. Je maintiens sans changer une ligne la note qui suit, parce que la vie continue, et qu’il faut qu’elle continue. J’étais resté Charlie, idéaliste, je serai longtemps Paris, idéaliste.
Avant le 14 novembre 2015, donc.
Écrire, ne plus écrire. Être un blog ou une archive, fossile. Remonter à la surface, parfois, petite bulle d’air et y éclater et se noyer à nouveau dans la masse, attiré par le fond de plus en plus noir, mais si calme. Oscillant. Et reprendre un élan vers la surface dans un océan docile.
Paréidolie. La grosse racine me regarde, semble me regarder, présence disgracieuse sur l’autel de son sacrifice, plan de travail de cuisine, en lumière face fenêtre. L’image que j’avais, adolescent, de la tête de Cthulhu, le Grand Gardien endormi en abysse, proche de l’image qu’a produite Howard Phillips Lovecraft lui-même. J’affûte le solide couteau à émincer, un reflet y joue, des lueurs d’entre le feuillage du grand tilleul qui refuse de perdre ses feuilles mêmes sous les dernières joutes des dernières pies. J’affûte avec soin, par respect pour la grosse tige tubérisée que j’entends presque grogner, crisser et frémir sous la lame. Du gros légume exhumé par une passion néo-rurale je dégage une pomme blanche en quelques coups respectueux, effaçant les yeux des anciennes tiges et l’agglomérat flagelloïde des départs de racines.
Au-delà de ses mythologies noires et de sa force d’évocation, je recadre la face obscure de Lovecraft, reflet du racisme WASP du début du XXe siècle; le couteau sali de terre, je revois en passant cette ferme et les filles venues d’ailleurs qui s’y arrachent, à l’air libre, retrouvant en chemin biologique des cultures d’avant, et à leur voisin paysan, à l’air bourrin, qui talonne et insulte sur leur route d’accès leurs clientes qui se rendent aux distributions hebdomadaires. Compatir pour lui. Ravages de l’inculture biologique, cerveaux légumineux aux profondes racines éthyliques, relents de radis noir d’obscurantisme, trois siècles après les Lumières. Courage, les filles, et moi, revenir à mon sujet.
Profondeurs insondées. Helicobacter pilory, c’était donc toi le ferment de nos doutes, sous ton nom évocateur de catcheuse russe, de serial killer, de hardeur gay, ou d’héroïne de roman noir suédois, selon l’humeur, planquée dans l’acidité de l’estomac de notre enfant. Depuis combien de temps ? Combien de douleurs gastriques non exprimées par notre autiste non verbal, expliquant combien de rages ? Sans doute qu’une partie non négligeable de ses troubles de comportement te sont imputables. Pourquoi ne te débusquer que si tard ? Et se remémorer nos démarches, inspirées par nos observations et le trouble du doute, nos requêtes, d’un gastro-entérologue à un autre. Et en face cette réticence récurrente, rédhibitoire : les implications d’une fibroscopie, d’une anesthésie générale, passant à la râpe nos intuitions de parents incultes et sentimentaux, yeux entre tiges et racines. Et pour finir profiter d’une opportunité, bien des années après, et espérer voir se transformer ces doutes en convictions. Et reprendre un élan.
Un élan ? Rhétorique. Je caresse encore de la lame le légume pour en effacer quelques restes terreux. Même après tant d’années de lutte nous avons pourtant cédé cette année de ses 23 ans, acceptant que notre enfant soit perçu comme — ou rendu tel — un psychopathe incoercible, le livrer à une psychiatrie condescendante, violente, à l’alchimie tâtonnante et empirique. Et laisser notre monde se désagréger, une année durant. Alors qu’il suffira peut-être de t’éradiquer, toi, bacille H. Pilory, tronche oblongue octoflagellée, à l’enveloppe aussi laxe d’un fanon de dindon, gloire à ton ennemi nobélisé qui donna de sa personne pour convaincre le jury de ta culpabilité dans la plupart des ulcères gastro-duodénaux, et plus si affinités. (#HP)
Cthulhu dessiné
par HP Lovecraft - DR
À travers la fenêtre, dans le jeu du feuillage, un soleil bas m’aveugle par intermittence. Le diagnostic d’helicobacter n’a pas été simple pour Émilien. 850 km de voyage en VSL vers un Centre spécialisé dans le dépistage des pathologies associées à l’autisme, une hospitalisation bienveillante, bien sûr, mais forcément anxiogène, une coupure volontaire d’avec son monde habituel; il a fallu presque une semaine à son retour pour le sortir d’une prostration effarée. Dommage, il allait mieux avant cet épisode difficile, beaucoup mieux depuis quelques semaines après notre désenvoutement pharmacologique et notre volonté de réduire son intoxication quotidienne à grand coup de machette mexicaine, a minima et encore plus à venir… Car Émilien devrait après éradication d’H. pilory aller encore mieux, on a un espoir en cela, une confiance absolue en lui, en nous, en lui et en nous. Mais nous savons aussi l’ennemi absolu — j’ausculte en surface mon céleri-rave — du type inconnu tapi dans l’ombre, de ce qui viendrait trahir cette récompense tangible de tant d’années d’effort.
[ Le voir au bord d’un énième chemin s’arrêter sur une marguerite improbable d’octobre et la cueillir maladroitement et la broyer sans un mot. Fragiles. ]
De profondis. Depuis quelques mois l’on apprend à regarder ailleurs, à ne plus voir qu’une solution, à ne plus considérer qu’il existe une solution et à rependre courage de ça, paradoxalement. Se savoir prêt à se détourner du phare qui nous guida le long des découpages de nos côtes est presque un soulagement, larguer les amarres, repartir à la dérive, mais vers un horizon; on a appris la déception, la peur venant de ce qui doit rassurer, et l’abnégation, l’opiniâtreté, le bout du souffle et l’immense saveur du calme retrouvé. Blasé, je crois que je ne réagis même plus raisonnablement à ce type de nouvelle : «Le projet de loi de finances prévoit de diminuer des aides pour les adultes en incapacité de travailler, lorsqu’ils ont un Livret A. Une pétition a déjà réuni 20 000 signatures…» (#HEU?)
Que faut-il donc, après 23 ans de combat, trois siècles après les Lumières, pour qu’une société non totalitaire, quand même, ou pour l’instant, considère ses handicapés, ses faibles, des dépendants avec un minimum de décence ? Je ne parle même pas d’intelligence ou de démocratie. Pour notre cas, le rejet de notre enfant par toutes les structures étatiques et sociétales, depuis la maternelle, la pénible recherche de diagnostic, phagocytés par une psychiatrie encore pour beaucoup francomédiévale, puis le combat associatif tentant d’éclairer les chemins kafkaïens des institutions, culpabilisantes, cryptées, à la sémantique basée sur la mésinformation, la rétention d’informations sur les aides possibles, tentant de créer là où l’institution fait défaut… Tout ceci ne compte pas ? Ni la lassitude quotidienne et interloquée de constater que les quelques Centres actifs proposant des perspectives à nos adultes autistes soient sanglés par leurs tutelles, luttant pour évoluer ou maintenir la prestation, avancer structurellement et se consolider éthiquement; doit-on encore adjoindre que 60% de l’AAH de nos enfants (large de 800€/mois) soit reversés aux Institutions pour qu’ils se remboursent de leurs délicieuses donations de départ, sachant qu’ils se paieront de toutes les manières le jour du décès de nos enfants, aspirant tout leur patrimoine… Que diraient ceux que l’on a expédiés en Belgique avec leurs sacs de linge sale et la bénédiction de l’État et de la psychiatrie de la valeur accordée ce jour à leur expérience thérapeutique ?
Et ce ne sont là que proéminences anecdotiques, qu’il faudra multiplier au facteur de tous les handicaps possibles; nous pensions que c’était suffisant, visiblement pas. Un technocrate quelque part n’a pas semblé le concevoir ainsi et en a convaincu d’autres, sans doute un aréopage de gens bien faits. Que peut-on faire vis-à-vis de ceux-ci ? De plus ? Pour mériter ne serait-ce qu’un statut ? Je ne sais pas. Dites-nous. (#AH!)
En attendant s’impose à moi, étrangement, en arrière-plan, un De profondis paillard comme il en émanait d’une vingtaine de jeunes braillards dans le bus qui nous ramenait de nos rencontres de rugby dominicales, sur des paroles de Théophile Gautier : couplet 28,« Depuis ce jour on voit dans l’ombre / À la porte d’un caveau sombre / Les morpions de noir vêtus / Montant la garde au trou du cul…» (#DP)
Hum. Le restant cardioïde de céleri-rave est d’une matière étrange, à la fois molle et dense, spongieuse, dans le silence de cette matinée qui fuit vers des horizons d’automne. Et mon fils qui dort.
Le couteau frappe huit fois le faux marbre noir moucheté du plan de travail et disperse huit gros morceaux, polyèdres blancs immaculés.
Sacrifice. Cthulhu va passer à la râpe, et mon fils qui dort. Je crois…
Et nous qui montons la garde. Noirs fétus, profondes racines.
Armand T.
12:37
Vers le Puy
de Niermont - Cantal
Sauf indications contraires, textes, dessins et photographies sous © Didier-Trébosc
…silencieux dans l’estomac
(#HP) “Helicobacter pylori ne vit que dans l’estomac humain. Il tire son nom de sa forme en spirale et est doté de 2 à 6 flagelles qui lui permettent de se déplacer sur le mucus qui couvre la paroi de l’estomac (9). Il paraît impossible qu’un organisme vivant tel qu’une bactérie puisse vivre dans un milieu très acide comme celui de l’estomac et c’est ce que les scientifiques pensaient jusqu’en 1982. C’est en effet, à cette date que deux chercheurs australiens John Robin Warren et Barry Marshall identifient puis cultivent pour la première fois une bactérie inconnue nichée dans la paroi de l’estomac de plusieurs patients atteints d’ulcères : Helicobacter pylori.”…
L’appel, ou pas…
(#HPL) Fallait-il convoquer ici Lovecraft et sa composante raciste, ou ne garder que l’esprit torturé par ses terreurs nocturnes, grand constructeur d’imaginaires. «Une horreur d’argile — La chose la plus miséricordieuse en ce monde, je crois, c’est l’inaptitude de l’esprit humain à corréler tout ce dont il est témoin. Nous vivons sur une placide île d’ignorance au milieu de noires mers d’infini, et cela ne veut pas dire que nous puissions voyager loin. Les sciences, chacune attelée à sa propre direction, nous ont jusqu’ici peu fait de tort; mais rassembler nos connaissances dissociées nous ouvrira de si terrifiants horizons de réalité, et la considération de notre effrayante position ici-bas, que soit nous deviendrons fous de la révélation, soit nous en fuirons la lumière mortelle dans la paix et la sécurité d’une nouvelle ère d’obscurité…» L’appel de Cthulhu – Howard Phillips Lovecraft
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