13 septembre 2015 11:06 • La Pallière

Bien plus bas, un camp de base…

Fragment 77,
de boussole

30 janvier 2016

Fragment 77,
de boussole

30 janvier 2016

L’impression, l’impression d’avoir dévissé, décroché d’une paroi trop abrupte, dans une voie à laquelle nous ne croyions plus, après avoir fait face en juillet 2015 à une énième tentative d’internement de notre adulte autiste. D’avoir repoussé la paroi en acceptant le vide, dans un grand bruit ou sans un son, puis soûls d’avoir ensuite plané un moment, abasourdis, les oreilles qui bourdonnent, se raccrochant à nos convictions, à notre pugnacité imputrescible, à notre moral vert et centre noir comme l’œil de Sharbat Gula(*), la jeune Afghane immortalisée par Steve Mac Curry. Et d’atterrir ou de se poser, dans une sorte de nouvelle jungle, une forêt qui semble étrangement familière, étrangement calme, presque hospitalière. Et y reconstruire un camp de base, ou le retrouver, et remonter notre petit home dévasté et choyer à nouveau notre grand autiste qui dort enfin et semble s’adapter à ses nouvelles conditions d’être et se sentir fiers, tous, de pouvoir reconstruire. Et d’explorer, un monde à nouveau nouveau, où tout semble possible, grâce à ce si peu de chose qui transforme le parent d’enfant autiste atypique en un Fitzcarraldo(*) efficient, remonté à bloc depuis ses fissures profondes. Si infinitésimal, si fragile, si incrédule, envoyant crânement au diable ses malédictions.

Puis voir son fils se lover dans sa chambre reconstruite, y croire à peine et guetter le moindre signe d’une possession qui nous l’éloigne encore. Mais se tromper, car il va bien, il parle, mange dort et reprend 15 kilos. Mais se tromper, car il reprend ses chemins douloureux, compliqués, de bruxisme et d’opposition. Mais se rassurer, car cela ne dure pas, ne durera pas, tout au plus l’avons-nous retrouvé tel qu’il était avant la dérive pharmacologique, cyclothymique, parfois absent, parfois loin, mais revenant, toujours. Même si notre psychiatre déchu ironise sur ce rétablissement, «Ça reviendra…» sardonique, ego froissé. On s’en fout, on est retourné vers le psy historique d’Émilien, qui va dans notre sens. Sécuriser notre camp de base…

Je nous sens comme Salgado, toutes proportions gardées, Sebastião Salgado(*) au bout de sa démarche, sa vie, de photographe social, après des années d’horreurs accumulées, un dernier reportage au Rwanda, l’œil humide désespéré de la nature humaine… Et qui reprend après cet effondrement affectif le chemin de la vie, se reprend et replante la zone brésilienne et familiale désertifiée dans un combat nouveau et un intérêt trouvé pour la beauté de notre planète. Replanter. Et y croire, je sais, je me répète, indéfiniment, comme celui-ci qui plantait quelques milliers d’arbres sur 600 hectares de terre rase, 600 hectares de forêt vierge atlantique. Et qui réussit, mais c’est Salgado…

Relâcher ses prises et se confier en arrière au vide, comme un soulagement et accepter ces trois années de blog comme un carnet de route, à peine utile et le voir aujourd’hui comme l’épure presque lointaine d’un nouveau carnet de voyage, lorgnant sur la carcasse fumante de 20 ans d’espoirs, mais heureux de se pencher sur une nouvelle cartographie, inquiets et tendus comme des parents d’adulte autiste et pugnaces et heureux de retrouver une boussole, à peu près calibrée.

Mais redouter d’écrire, et procrastiner, comme pour conjurer, ou parce que les choses changent trop vite et que les mots ont cette perversion de fixer, de figer, d’installer et que l’on devient superstitieux et que notre enfant reste très fragile. Et puis retrouver dans les fragments éparpillés de notre chute quelques lignes, comme un papier qui vole, de récents écrits, immédiatement post-traumatiques…

25 octobre 2015
12:20
Ste-Victoire
Puits d'Auzon
25 octobre 2015 12:20 • Ste-Victoire - Puits d'Auzon

[ Au sol, canicule…

D’un geste rageur, sans autre raison que soupape, enfantin quasiment, j’ai frappé d’un grand bâton de chêne sec une branche basse qui gênait notre progression. Ou peut-être même pas. Et là je m’arrête, je nous arrête dans la stupeur du silence caniculaire.

[ Les temps se mélangent, passé, futur et toujours conditionnel, m’y retrouver, nous y retrouver…]

Et nous, arrêtés là sur une piste rebattue, où il fait soudain encore plus chaud, je perçois comme une onde de choc de mon simple geste, qui se propage doucement dans la lourde quiétude de la nature alentours, dans un bruissement de lézards dérangés dans le tapis de feuilles séchées, de feuillages hauts de geais réveillés et d’un je ne sais quoi d’autre, incommodé. Qui se propage doucement dans la canicule. [ Nous sommes en juillet ?]

Bâton. Comme souvent après qu’une petite épeire ne m’ait mordu, moi avançant suivi de toi sur un sentier étroit où la végétation se rejoint pour assurer un couvert protecteur d’un soleil matinal, mais déjà haut, et parce que personne n’est passé là avant nous, j’ai auparavant choisi un grand bâton pour écarter sur notre passage les toiles carnassières tissées la nuit. Dans de grands gestes qui t’ont parfois fait rire. [ Toujours ? À jamais ?]

J’attends. Profitant de l’ombre tachetée de ce petit chemin qui vient de perdre en quelques semaines toute sa fraîcheur de printemps, je te surveille, j’attends un rire dans cette reprise moite de nos échanges bucoliques et favoris. Ou de nos non-échanges. [ S’y retrouver…] [ Nous sommes en juillet, l’été. ] Pause. Je me gratte machinalement le dos de la main, là où l’organisme lutte contre le venin dans un picotement crispant. «Vais-je me transformer en super quelque chose, muter, profiter d’un apport nouveau d’ADN… Vais-je me transformer en redresseur de torts, défenseur de la veuve et de sa progéniture ou plus prosaïquement en un carnassier poilu chassant, sautant ou piégeant tout ce qui bouge d’une taille raisonnable, roulant de ses quatre paires d’yeux au-dessus de chélicères fébriles, veuve noire en quête d’orphelinages…» La pesanteur reprend ses droits. Du coin de l’oeil : tu bois, tu manges, assis sur une pierre plate comme depuis toujours [toujours] et tu aurais dû participer à ma tirade arachnophile et à la référence cinématographique, mais tu es si différent. Ou moi. Ou nous.

[ Écrire ces lignes en juillet, bien sûr. ] On t’a sorti de ton isolement. Tu as accusé le coup des 3 semaines de privation sensorielle, bel euphémisme. Bizarrement rasséréné, pour certains qui se posent la question de la vertu thérapeutique de l’absence de stimuli, et de ta capacité à subir une socialisation. Ceux-là construisent ou échafaudent, plutôt. Chantier de l’âme.

On peut te voir aussi en une espèce d’état de choc. C’est notre côté dépressif.

Mais tu vas prouver qu’ils se trompent, qu’ils ont tort, et te voir revenir en fureur, en mal-être, parce que rien n’a changé, que le problème est ailleurs, qu’interner un autiste est une aberration, et te voir nous regarder encore de loin en transpirant ta folie et subir une troisième tentative d’internement et là imploser, dans la canicule, refuser encore une fois de baisser les bras et accepter de te recueillir tout l’été et travailler enfin à mettre des poings sur nos hanches, sur les «i» de convictions et de prise de responsabilité et te voir alors jouer le jeu, partenaire et revenir vers nous, petit à petit, après quelques déambulations encore, quelques cris, quelque violente crise d’épilepsie et oublier cette mutation difficile et mettre la chrysalide au feu et s’y réchauffer nos doigts et s’entendre dire plus tard : «Émilien va bien, il est là, présent et souriant», et ne pas plus y croire parce que souvenir de canicule ou parquet glacé de cuisine aveyronnaise où tu vis en grande détresse une violente crise d’épilepsie, si loin, et y croire toujours plus de te voir te coucher en riant si tôt. Et nous de t’épier alors, sacrifiant à un silence recueilli nos soirées, calme plus beau des fruits de notre opiniâtreté, ne croyant plus qu’à ça, hébétés d’un soulagement enfantin… [ Reprendre le fil du temps, se projeter vers l’avant, réimaginer une chronologie…] Et conserver en relique une boîte où l’on a accumulé tous les médicaments non pris, ceux que l’on a décidé il y a presque 4 mois de ne plus t’administrer. Fétichistes.

Je sais, je te tutoie encore, comme je l’ai fait dans un épilogue, je le ferai ici dans ce qui pourrait être un prologue. [ Mais ça, je l’ai déjà écrit… Je crois. ] [ Perdu.] ]

2 novembre 2014
12:36
Puyloubier
2 novembre 2014 12:36 Puyloubier

Hésiter à mettre ces lignes au feu. De camp. Et se dire qu’elles existent et y trouver un sens : depuis 23 ans on n’a jamais ressenti un effet d’onde conséquent lié à nos propres heurts. Bien sûr que l’on a vu quelques proches prendre du roulis à chacun de nos impacts, et nager vers nous, mais en proximité, dans notre continuité, aucun voisin jamais ne vint s’enquérir de ce qui se passait là. Par exemple. À l’évidence et paradoxalement, c’est sur ce blog, cet espace épistolaire et virtuel que cet effet prit une consistance. Peut-être là la raison d’être de cela…

Alors, respecter cela et construire. Là. Sur un autre espace, dans une autre cartographie de web. Utopiste, je vais croire en ça, pour voir et parce que rien n’est résolu pour nous, je vais tenter capitaliser sur l’audience du blog; les quelques milliers de pages lues à chaque publication et l’historique des commentaires qui tombent désormais sur ma boîte mail m’y incitent : un support associatif «Sans Raison Apparente» est créé. Une tentative pour ne plus avancer seul et trouver un relais, un sens formel, participatif, à cette trituration de matière noire. Vous me direz ou pas, implicitement ou pas si j’avais raison de pitonner une nouvelle voie…

Le feu qui somnole sur notre camp de base. Notre fils dort. Je sais que dans nos contreforts des bêtes rôdent encore, et qu’elles tenteront de hurler pour briser nos nuits ; j’ose croire, esprit fort, qu’elles seront à chaque fois reparties loin quand le jour se lèvera.

Armand T.

Sauf indications contraires, textes, dessins et photographies sous © Didier-Trébosc

autisme-hieroglyphe

Dans la fumée du feu, ce soir…

Wim Wenders qui rôde autour de Sebastião Salgado, images autour d’images dans Le Sel de la terre, et Sharbat Gula, retrouvée en son ombre durcie sous burqa, peut-être heureuse que son image ait fini par ouvrir à sa famille quelque chemin de soins et Klaus qui rôde, acteur de génie et père infâme, Kinski-Fiztcaraldo, entre deux camps de base en bord de río où déambule Werner Herzog.

Le Sel de la Terre, bande-annonce ::·

Sharbat Gula ::·

Fitzcarraldo, un tournage de Werner Herzog ::·

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