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Sur l’haïku de midi…

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Marseille.

«Hé !» Le cri a dû résonner dans ce couloir qui relie deux pavillons de spécialités médicales de l’Hôpital Nord et qui sert avec quelques tables placées là de cafétéria neurasthénique. «Hé, mais qu’est qu’il fait c’ui-là ?» L’homme vient de perdre son sandwich, vandalisé par mon grand fils autiste vorace et déboussolé.

Tout le monde ici semble tromper une faim, une angoisse, une impatience ou les trois. Dans ce type de moments perdus, tout en réajustant sans doute machinalement l’assemblage mayo-gruyère de sa collation, il devait méditer sur sa sortie, celle d’un proche, négociant avec son appétit, concentré, en recherche d’un moment de quiétude; je compatis.

C’est Nadine qui me raconte, exaspérée, ou lasse. Ou les deux. C’est tombé sur elle. On se relaie depuis le réveil d’Émilien, soit depuis quelques heures : l’un attend un avis de sortie dans la chambre d’ambulatoire qui semble se rétrécir au fil du temps et l’autre tente au fil des couloirs et des translations d’ascenseurs de combler l’impatience à fuir de notre autiste opéré. Oui, quelques heures auparavant Émilien subissait sous anesthésie générale plusieurs ablations dentaires liées en cause ou en effet à son année de bruxisme. Avec empathie et professionnalisme, tout un petit monde médical et chirurgical (1) avait su prendre les spécificités de notre cas en considération. Et s’adapter. On n’en demande pas plus à l’autre, en fait.

Alors on attend, on sait que c’est dû à «une forte affluence aujourd’hui» de candidats à une expérience odontostomatologique et que notre chirurgien a du mal à quitter son bloc pour signer les autorisations de sortie. Normal, on compatit, toujours. Alors on gère et Émilien encaisse pas trop mal. Avec quelques saillies verbales et comportementales…

[ S’échapper. Fenêtre, offrant l’extérieur, un monde qui grouille au-delà du patient suivant qui partage notre chambre, sagement résigné depuis son lit brancard, un homme entre deux âges qui se tend et se détend selon les vibrations d’Émilien. Tandis que le même goéland plane et repasse, luisant de la fraîcheur d’automne, au-dessus des bâtiments gris qui prennent le frais d’un ciel de mistral, narguant là-bas en face, au-delà de l’autoroute, les toitures rouges des maisons de la butte de Verduron d’où il paraît qu’on voit si bien la mer, je revois quelques heures plus tôt toutes les étapes d’un rituel précis et improvisé vers le bloc opératoire, avec mon fils si sage, bizarrement docile, voire curieux, mes mains qui stabilisent doucement sa tête pour faciliter l’action du masque d’anesthésie et mes mots qui lui parlent d’ailleurs, et nos mots entre nous, perdus dans un couloir obscur devant la salle de réveil, et une porte qui s’ouvre enfin, «un seul parent» et se referme sur Nadine qui s’y colle et qui se déguise comme je l’étais précédemment, de pieds en tête, affublée d’une charlotte et surhabillée d’un fin cocon bleu ciel…]

Tandis qu’on le débarbouille des scories mayonnaises de son forfait, j’imagine mon fils échapper à la vigilance de sa mère dans ce couloir de restauration, se jeter sans préambules sur l’homme attablé le plus proche puis tenter de récupérer à terre le fruit de sa rapine, dessinant à même le sol vitrifié une œuvre gestuelle de sauce claire et épaisse, rapin a fresco. «Je comprends, Madame… Ne vous en faites pas». L’homme a rapidement compris, effectivement. On n’en demande pas plus à l’autre, finalement. Comprendre, et s’adapter.

J’estime le comportement de cet homme précieux dans le contexte, tout d’attentes et de tensions. J’ausculte les murs jaunes ou jaunis de la chambre. Et ce qui s’y passe, s’y accroche. Une histoire se déplie là, en chaque tache, chaque coup, chaque fissure, chaque absence ou chaque présence. Depuis ce matin tôt, une accumulation de messages nous a perturbés : y compris au bloc où j’accompagnais mon fils ou en réveil où sa mère l’assistait, pas une pièce, un couloir où ne soit scotchée une affichette plastifiée et explicite : «Agression = punition» en diverses déclinaisons : punie par une amende, par la loi, par de l’emprisonnement… Dans chaque ascenseur, une même recommandation à ne pas les détériorer, car ils représenteraient dès lors un «danger pour les patients». Même jusqu’à l’entrée du bloc, deux costauds n’ont pas lâché notre convoi d’un chausson, en vert d’hosto, armés jusqu’aux dents, logique en stomato, mais incongru en ce lieu de sauvetage, de soins et de réparation.

Comprendre. Je sais bien ce que tout cela connote du quotidien difficile de ce monde-là, à cet endroit-là. Et dans ce heurt sémantique, entre soin et violence, entre fractures et fissures, je frissonne en me projetant, civil déchiré fragile, en Alep-Est.

J’admire le voisin de chambre d’Émilien, qui s’est isolé progressivement dans un espace intérieur caparaçonné. Semblant gisant serein.

Et Émilien qui va et vient dans ce labyrinthe de soins, comme poursuivi par ses démons, bien loin de ces considérations, guidé par la faim, encore sous effets paradoxaux des doses léthargiques, astreint à ne manger que du «mou», désorienté sur la raison de l’attente depuis son réveil, Émilien qui ne saura jamais ce qu’il fait là, ce qu’est une dent, une douleur, le concept de temps, de tension, l’idée de l’autre, d’un autre, d’un tabou, ni quelle réaction il aurait pu engendrer chez un autre homme que celui-ci.

Mais nous, nous l’imaginons bien. C’est une faiblesse.

Alors un geste en passant, vain, car l’homme est inconnu, fugace message volatilisé dans l’atmosphère, j’improvise, aussi pour inciser l’ennui, à l’attention de l’homme anonyme à qui l’autisme doit un sandwich et à qui je dois bien ça. J’improvise un assemblage cicatrisant en mode haïkus (2), parce que le haïku vient pour célébrer un instant de vie particulier, dans un mode très normé, tentant de faire surgir l’émotion ou le sourire d’un cadre froid, challenge très japonais, je crois :

À toi, vers midi,

à toi qui temporisait,

sandwich d’hosto.


À toi assis là

d’une raison ignorée,

ces mots vus d’automne.


D’un père souvent

que la colère emporta,

triste et vain blizzard.


Mayo et gruyère,

en air de cholestérol

sifflé là en douce…


Mon fils impulsif

t’en épargna les atteintes,

te laissant en faim.


Peur inopinée,

ta pitance bafouée

au sol répandue…


J’aime la lueur,

Clarté de ta réaction

d’instincts maîtrisés.


Malgré le contexte

en inhumanité blême,

tu sus trouver l’air…


Et l’eau et le vent

pour étouffer la colère,

et en repartir.


Oui, ta tempérance

envers ma progéniture

restera présente.


Là où doivent être,

espoir pour l’humanité

gravés l’eau, le vent.


Quelque part en nous,

parents à jamais perdus

d’absurde nature…

Armand T.

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Sauf indications contraires, textes, dessins et photographies sous © Didier-Trébosc

autisme-hieroglyphe

Handident, un réseau de soin indispensable…

(1) Chirurgien du réseau Handident, réseau qui fait un travail remarquable au service notamment de nos enfants autistes. Visites régulières en FAM, consultations adaptées et chirurgie dans les CHU de l’AP-HM, pour ce qui nous concerne dans les BdR.

«Depuis quelques années, les progrès dans la prise en charge des personnes en situation de handicap sont indéniables. Néanmoins, de multiples efforts sont encore à fournir, comme en attestent les personnes concernées.En 1999, en effet, celles-ci ont exprimé leurs difficultés d’accès aux soins dentaires aux membres de l’ESVAD (Equipe Spécialisée pour une Vie Autonome à Domicile) de l’APF (Association des Paralysés de France). HANDIDENT : COORDONNER POUR MIEUX SOIGNER Grâce à une mise en commun des énergies et des savoir-faire, LE RESEAU HANDIDENT souhaite promouvoir sur le territoire régional une démarche pilote qui met la personne au cœur du processus de soins.

Son but : faire évoluer l’offre de soins et les comportements par des actions préventives mais aussi curatives.Ses moyens : avant tout la détermination des personnes impliquées dans le projet : chirurgiens-dentistes (près de 100 d’entre eux ont répondu présents dès l’origine du projet !), personnes en situation de handicap mais aussi leur famille, leurs associations et les professionnels du secteur médico-social.

Sa démarche : co-construire les réponses adéquates aux problématiques des soins bucco-dentaires. Un comité de suivi a été mis en place. Ce collectif, force de propositions, se décline en commissions de travail où chacun peut s’inscrire en fonction de ses compétences et centre d’intérêt. Les actions engagées par HANDIDENT font l’objet d’une évaluation pour faire évoluer le projet.

Son outil : un site Internet pour informer et diffuser les valeurs du réseau.»

Handident ::·

5-7-5 pieds…

(2) Je sais, puristes, un haïku se suffit à lui-même et se travaille à l’infini, c’est ici donc plutôt un jeu sur un cadre de strophes de 5-7-5 pieds, sans obligation de rime et respectant pour certaines la règle du kigo, que soit inclus un mot ou une notion liés à la nature ou à la saison…

Live de 1970… avec des Ads YouTube de 2021 (grrrr) ::·

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