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Vue imprenable sur notre ceinte trinité

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Il traine. L’air est déjà doux. Il bougonne. La ravine est incommode, étroite et dense d’obstacles divers qu’ont fait saillir les ruissellements des grandes pluies d’hiver, vieilles souches de cade, teigneuses, plus épineux argelas, traitres racines d’aubépine. Émilien s’arrête à chaque marche, à chaque sursaut de pierre, proéminences rocheuses sculptées par les torrents ; puis attend ma sollicitation puis la franchit, repoussant une branche basse de pin ou de chêne Kermès. Là, il temporise un peu plus longtemps, semblant prendre le ressenti d’un ciel déjà doux, le nez en l’air, bleu pur et griffure de cirrus. Comme font parfois les animaux en suspension dans un temps qui semble absorbé ou dilué d’une intense réflexion.

Nous avons repris nos marches. Thérapeutiques, ou culturelles. Je ne sais plus trop ce que l’on partage là. De l’ordre d’un combat commun ou d’une osmose furtive ? Ou d’un rituel fondamental, le seul crédible ? Psychomotricité, jeu, périple, chantier, errance, en mode ouvert ou exclusif…

[ Il s’est posé. On a quitté la piste et après un dernier petit raidillon, un alignement naturel de pierres presque taillées, presque carrées qui constituent un banc de fortune, un trône, a throne. Notre jeu à nous, celui qui consiste à se couper du reste du monde pour humer l’air, les bruits, le vent. J’extrais de mon sac à dos notre dix-millième collation, la sienne — ou pour lui, — et quand il voit la carotte, orange indécent dans cet équilibre de bruns et verts et de rouille et de pierre, il sourit, puis rit. Et il croque. Et je le regarde, qui regarde au loin, serein et attentif. Et parle par intermittence, me montrant au loin je ne sais quoi qui luit, qui bruit, qui tranche. Notre vrai boulot — je m’en rends compte — depuis tant d’années est là, dans ce gain furtif d’un moment où j’estime que mon fils prend soin de sa vie, prend sens aussi, de ce qui l’entoure, où l’on s’accroche à une branche qui pend dans son biotope, lui donnant une raison d’être, et nous d’avancer. ]

Un vrai boulot. La jeune fille informe Nadine de son départ. Elle est là depuis les débuts du FAM d’Émilien, elle a vécu des moments difficiles, des nuits blanches, des flottements et des errements, avec toute notre confiance, avec toute sa bonhommie, ses attentions, sa jovialité et une force tranquille qui semblait indestructible. Elle s’en va finalement, pour autre chose, de différent. Travail trop dur, trop prenant, trop peu valorisé. Elle semble émue, Nadine l’est aussi et la remercie pour ces 5 années passées dans ce Centre et en partie au soutien de notre propre enfant. Comment lui en vouloir ? Cinq années constituent déjà un grand don de soi, pour nous, même si le contexte est professionnel, même si certains pragmatiques estiment que ce n’est là qu’un métier comme un autre et qu’il y aurait une proéminence de dilettantes dans ces professions-là… Peut-être, mais contribuer à gérer pendant cinq années des unités constituées de 5 à 7 autistes adultes de différents niveaux, avec des pathologies différentes, des rythmes différents, des comportements et des capacités différentes, avec des parents différents aux psychologies souvent rudes, amères, intempestives, érodées tout en essuyant les plâtres d’une structure toujours en construction et sous le joug de tutelles plus ou moins bienveillantes… Nous estimons que cela vaut amplement notre gratitude…

Même si son départ et ceux des autres avant ne fait qu’enfoncer un clou douloureux et anxiogène : que deviendra notre fils dès que l’on ne pourra plus s’en occuper, quand notre dernière échéance biologique connue finira par scinder définitivement notre assemblage ternaire. Et, comme souvent, en disant cela, j’imagine certains psychodoctes s’étrangler avec leur café matinal, recrachant leur credo : «Parents surprotecteurs, régression psychique, sadomasochisme fusionnel, effondrement narcissique, transfert vers l’esprit malade, réaction archaïque, fantasme de transmission…» J’opposerais, avec humilité feinte, tout en épongeant les épanchements de café sur le bureau de chêne livide et ancestral, «désolé…» une angoisse que j’estime juste ou légitime sur la qualité des soins, des prises en charges, et sur la mainmise de ce que l’on ressent d’égos surdimensionnés profitant d’une position dominante, d’une vue imprenable sur notre ceinte trinité…

Recherches, toujours, réflexe humain. Je suis tombé sur un texte (1) limpide, édifiant, intelligent, psychanalytique : j’engage ceux qui voudront juger du bon et de l’ivraie à la parcourir, pour comprendre comment l’autre «psy» nous appréhende et nous fait comprendre aux autres. Je n’ouvrirai pas un débat de plus sur la validité de cette vision-là, certains s’y retrouveront peut-être, dans un grand flash de «...mais bien sûr !» À y réfléchir, poser le postulat psychanalytique qui persiste à faire de notre traumatisme de parents la cause de tout paraît bien nécessaire car comment appliquer une des 2 topiques de Freud à un adulte autiste non verbal : difficile de s’imaginer trier ce qui est de l’ordre du moi, du surmoi ou du Ça et de leurs entrechoquements au cœur de l’analyse même s’ils parlent pour eux de «psychose autistique».

Mais, même en acceptant notre responsabilité, en admettant de voir dans nos manières d’y faire face ou de ne pas y faire front la cause de l’impossibilité de guérir, il y a pour nous au final la vie et ses scories, le vrai vécu, notre Histoire et il y a ces quelques photos prises de notre enfant lors de cette année 2015 terrible, photos que l’on ne peut soutenir sans un simple haut-le-cœur affectif. Pour nous, la réponse psychiatrique fut empirique, pharmacologique, violente, condescendante, manipulatrice et inefficiente, engendrant chez notre enfant dénutrition, nuits blanches, déambulations, énurésie, dyskinésie et démence… En cet été 2015 qui se reflète dans la profondeur de pixels que j’explore parfois encore, les stigmates de cette errance sont visibles, creusés de plomb sombre et grave, dans chaque instant de vie figé par un père terrorisé, dans chaque souffle de vie offert au dos numérique moite, morbide et incrédule. Fixer, toujours, réflexe d’humain.

Ce texte finit, ultime pirouette bienveillante pour effacer toute trace d’incrédulité, par un conseil aux «soignants» divers de ne pas forcer trop avant la ceinture de barbelés entretenue par les parents traumatisés, mais bien de la contourner doucement, en recherchant l’autorisation de pénétrer…

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Oublier que certains de ces «soigneurs d’âmes» semblent se sentir parfois comme demi-dieux omniscients et omnipotents, oublier qu’à l’opposé les «méthodes» comportementalistes s’érigent parfois en clochers sectaires sauveurs d’une humanité avec autisme, prendre ce qu’il y a à tirer de ça, douter de tout, toujours, et chercher d’autres visions, chez des neurologues éclairés, d’autres psychiatres modernes, d’autres sociologues, chez Sacks, chez Laborit, et écouter vibrer la biologie sur les Épaules de Darwin, chroniques de Jean-Claude Ameisen, et lire en parallèle du texte cité plus haut cet avis produit part le CCNE, qu’il préside, une base…

« La fragilité de la vie, donc son caractère précieux, induit la médecine. L’étendue de notre ignorance par rapport à ce qu’on croit connaître conduit à la recherche. […] Je crois passionnément à la transdisciplinarité. En l’élargissement du champ du regard. Les grandes découvertes naissent ainsi, du croisement des disciplines. Le pari des instances éthiques, dans le domaine biomédical, est de multiplier, auprès des experts, des regards autres et divers. » (3)

Voir les yeux fermés notre adulte de vingt-trois ans errer sans fin, déambuler affolé, sans but que détruire, se détruire, nous détruire et son monde avec, puis s’effondrer bras en croix, l’oeil hagard, vaincu par la sédation après des heures de heurts et de souffrance; et comparer avec cet être de vingt-quatre ans qui se jette dans son lit en riant s’ouvrant des nuits de dix heures et se lever en un bond joyeux vers une nouvelle journée. Mesurer, mesurer les quinze kilos repris, notre chemin depuis huit mois. Et le crier ici, toujours, même si la rage monte quand la docte entité nous suggère encore : «ça reviendra»…

Et oublier, pour passer à autre chose; je presse l’éponge que nous n’avons jamais jetée et l’essore du jus tiède du café renversé qui coule d’entre mes phalanges.

Un jus rouge coulait ainsi, apaisant, de gros grains de raisin broyés pour atténuer la main endolorie d’une journée de porteur de vendanges, quand nous rentrions fatigués et ballottants, le nez au vent sur la dernière remorque de comportes pleines, le cul dans le raisin et l’oeil serein sur le crépuscule naissant du tracteur bruyant, regard fixé quelque part bien au-delà du nuage de guêpes…

Se souvenir, et trier, toujours, nos aspérités d’humanité.

Armand T.

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Sauf indications contraires, textes, dessins et photographies sous © Didier-Trébosc

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Face au combat imposé, la défense…

(1) À lire sur la base du CAIRN : “Les adaptations familiales défensives face au handicap” – Francine André-Fustier

“C’est donc une mère qui est au berceau du nourrisson mais aussi tout un groupe familial avec son propre fonctionnement psychique, sa propre histoire, ses mythes qui vont donner une place au nouvel arrivant dans la famille actuelle et dans la succession des générations. Les fondements de l’identité de l’enfant sont inscrits dans ce lien familial qui est l’enveloppe première du psychisme en devenir de l’enfant mais aussi son outil de décodage du monde.”

À lire sur Le Cairn ::·

L’élargissement du champ du regard…

(3) Jean-Claude Ameisen, limpide dans une interview donnée à Télérama.fr

À lire sur telerama.fr ::·

Licence visuel : https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/deed.en

De la prise en charge, en 2005…

(2) Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé • Avis sur l’autisme en 2007, en fichier PDF :

“Le CCNE a été saisi le 10 juillet 2005 par plusieurs associations de familles de personnes atteintes d’autisme. Ces associations s’élèvent avec force contre les conceptions actuelles de prise en charge en France des enfants et des personnes souffrant d’autisme, et notamment contre l’absence ou le défaut de prise en charge éducative, en contradiction avec les programmes d’accompagnement actuels européens. Elles déplorent aussi le comportement d’une grande partie de la société française à l’égard des personnes atteintes de handicap, l’indifférence aux problèmes majeurs que les personnes autistes et leurs familles doivent affronter pour pouvoir assumer leur vie quotidienne, et l’absence de véritable politique globale d’insertion sociale.”

Avis en PDF ::·

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