30 mai 2020 18:13 • Anniversaire des 28 ans, Puyloubier

L’affect est fini

Fragment 80, aux allures de mirage...

14 novembre 2020

Fragment 80, aux allures de mirage...

14 novembre 2020

Il va être temps de fermer la fenêtre. Cette fenêtre ouverte par ce support pour moi, pour nous en 2012 par une empathique éditrice des blogs. Que j’ai dû trahir parfois, dans cette forme éditoriale particulière, une sorte de témoignage littéraire, que je voulais loin des émanations cliniques sur l’autisme des blogs de parents et qui a sans doute, de fait, posé souvent question à certains journalistes.

Bon, ça tombe mal, entre reconfinement, détresse à tous les étages, montée de tous les populismes et autocraties possibles, noyade dans les plus improbables théories de complots, sombres anniversaires, souffrances et résilience, ça tombe mal car j’aurais préféré rester en un silence attentif, humble, tendu, empathique, à se demander, inutile, quelle conduite à tenir, sur quelles pistes.

Mais de fait, sans emphase, sincèrement, je me devais de clore par un billet cette aventure et remercier chaleureusement Libé de cette ouverture qui a permis d’aérer notre quotidien, notre combat, notre combat quotidien de famille avec autisme. Qui m’a permis aussi, de structurer notre résistance, d’accepter notre condition de combattants, comme l’aurait fait un poilu dans sa tranchée de boue et d’humeurs, de la pointe d’un crayon fatigué, mais agile de savoir que demain, un billet partirait au loin, pris en charge par une estafette(1) compatissante. Sans véritable destinataire, vers l’imaginaire, vers l’inconnu, vers des inconnus d’un monde normé. Normotypique.

J’ai souvent pensé à replier les pages de ce blog, notamment en 2015, après une année noire, fuligineuse, celle de notre combat pour la survie d’Émilien, transformé en zombie par la dérive pharmacologique d’une psychiatrie impuissante et obtuse; l’année sombre de son internement suite à des crises paroxystiques que même nous, parents, ne pouvions plus gérer, crises engendrées en partie par cette pharmacologie inadaptée et fébrile. 52 kilos pour 1,85m. Vous l’avez su, voire vécu entre les lignes, on l’en a sorti, au fil des ans, d’abnégation et de ponctions sur son traitement. 5 ans après, il reste des fluctuations, mais il a repris 16 kilos et dort depuis plus d’un an ; il se couche, ou plutôt se jette sur sa couche, se met sur le côté gauche, tire la couette et nous donne rendez-vous dans une forte émanation euphorique au matin suivant, 10 heures plus tard. C’est un signe d’être bien, au moins un. Alors on croise les doigts et on ferme les yeux.

Mais, clôturer de mon propre choix ce blog eût été capituler bien sûr, devant le travail à fournir pour chaque billet, devant la réflexion délétère qui est celle que l’on porte sur sa propre condition, catalyseur de nos faiblesses, c’eût été renâcler devant la part des choses à faire, pour tenter d’être juste, ouvert, exhaustif, pertinent, efficient pour tous ceux dont je m’imaginais être un porte-voix et pour contrarier tous ceux, aussi, qui quelque part, sans le dire, petite tape sur la tête, «bon maintenant tu rentres dans le rang, OK ? Tu cesses ta litanie stérile et tu te fonds dans la masse de ceux qui s’étouffent en silence et dont les fausses routes n’intéressent pas grand monde, OK ? » Monde obnubilé par son nombril bouché serré par toutes les crasses accumulées des émanations totalitaires, intégristes, racistes, sexistes, intolérantes, incultes et rétrogrades ? Non, peut-être pas.

Virages et coming out

Je m’égare, toujours, c’est vital, le droit chemin est un piège pour ceux qui ont autiste en charge, j’évite l’ornière, puis un virage, l’estafette porte à gauche, Libé vire à gauche, facile, le cœur est à gauche. Amer, je me vois glisser d’un anarchisme gentiment éclairé à une misanthropie sclérosée. La philosophe Cynthia Fleury, dans «Ci-gît l’amer…» (2), en disserte apparemment la cause, cette amertume, ce ressentiment qui nous envoie direct dans le mur facho. À chaud, ce n’est pas faux, mais à qui ne pas en vouloir (et nous de nous en vouloir), vers qui retourner la force de sa colère quand, après 28 ans d’un combat permanent, d’une résilience quotidienne, Émilien n’a toujours pas une prise en charge sereine ni un avenir rassurant, et que le temps passe et que notre temps passe, temps compté des parents, que des centaines de familles restent sans solutions, ignorées avec leurs enfants ou adultes TSA, aux espoirs encore bafoués par certains précepteurs psychiatriques antédiluviens, que des dizaines d’associations se battent toujours pour améliorer le quotidien des familles et de leurs enfants, palliant ainsi aux faiblesses, dans leurs missions, de l’État et des institutions ?

[Soit, je jette à nouveau un œil vers l’extérieur, flippant, le monde a beaucoup de problèmes à gérer… Je joue avec les gonds de cette fenêtre restée ouverte peut-être trop longtemps et qui couine un peu. Je l’avais délaissée depuis quelques mois, pas par lassitude, mais parce que depuis la fermeture des commentaires elle m’apportait toujours air et lumière, mais plus le bruit et les échos de la rue. Alors j’y ronronnais doucement. En me disant souvent qu’un blog sans commentaires est quand même une antinomie, un confinement solitaire sans réseau, de l’ordre d’un onanisme négligé. À moins que l’on ne se prenne pour un écrivain, égocentré sur ses émanations rassurantes…]

Émanations. «Titi web…» Émilien se reconnaissait sur les photos illustrant les billets que je lui montrais en ligne, parfois en home page, entre Sarko et Khadafi. Il riait, mais aussi ou surtout parce que c’était l’occasion «d’aller sur Internet». Une gratification. Je ne sais pas trop ce que lui en a tiré, mais sûr, il ne saura jamais combien cela m’a aidé à le soutenir. Exutoire. Catharsis, – émoticône psy qui sourit.

Bref. Il est temps de fermer cette fenêtre, comme le seront tous les blogs, à la demande des nouveaux capitaines du vaisseau Libé, stratégiques, découvreurs. Je comprends la stratégie évoquée, d’économie, de pertinence, de survie et d’évolution, et même si mon avis n’est pas signifiant, elle me semble saine et logique. Je resterai dans le sillage, attentif aux nouveaux caps. Et je me laisserai flotter dans cette trace d’écume et dans l’idée qu’un vaisseau s’éloigne…

Et c’est le temps enfin d’un coming out, d’exploser la carcasse d’Armand T. au fond de cette impasse sombre où il aurait fini de se perdre, ne répondant plus qu’à un pseudonyme créé par pudeur ou d’un doute sur la bienveillance de ses concitoyens et de révéler Didier T., soit Trébosc. Il n’est pas important, j’estime, d’avoir écrit sous mon troisième prénom, Armand, seyant d’autres temps, et d’avoir masqué un patronyme qui ne parlerait à personne, mais Émilien, c’est bien Émilien Trébosc, et ça, c’est un vrai sens de vie, exigeant.

Voilà. Il est temps de regonfler les pneus de l’estafette, de se faire propre et d’aller porter soi-même son courrier, masqué, bien sûr. Merci Libé, merci de votre ouverture, ne changez rien, ou plutôt si, changez encore plus à gauche, toutes ! Le monde a besoin d’éclairages.

«Enfin, sauf la nuit», me glisse la gentille chatte de gouttière bicolore blanche et noire que l’on a recueillie en Provence après qu’elle eut distrait mon père dans les affres de ses derniers mois dans l’Aude.

Oui, sauve la nuit.

Didier Trébosc/Armand T.

Et merci…

Merci à tous ceux qui ont suivi notre parcours microscopique de famille avec autisme, qui m’ont soutenu, encouragé et critiqué, même dans l’ombre, même ponctuellement : vous avez contribué à 8 années d’une certaine aventure humaine.

Bon, j’ai des projets de survie du blog, de rebonds tous ces écrits et toujours ce besoin d’une audience empathique à ce message porté parlant de la vie des personnes avec autisme, handicap, difficultés…

Alors, restez présents, sans vous engager à rien, confiez-moi seulement, si ce n’est pas fait, votre email pour vous informer de ce qui va suivre. S’il vous plait, bien sûr. Le cas échéant.

Bien à vous tous.

Chaleureusement.

[Vous entendez ce klaxon qui geint et ces cardans qui cognent ? Ce sont des nouvelles du front…]

13 août 2019
12:56
SOMECA 20D,
aux abords de Caillens,
Pays de Sault
13 août 2019 12:56 • SOMECA 20D, aux abords de Caillens, Pays de Sault

Sauf indications contraires, textes, dessins et photographies sous © Didier-Trébosc

autisme-hieroglyphe

estafette

Je précise la notion d’estafette, pour ne pas mélanger la cultissime camionnette de Renault, l’antonomase qui en découle : l’estafette qui transporte personnes, troupes ou CRS, et initialement, l’estafette, soldat chargé de faire passer les messages écrits entre différents camps ou lignes de front et entre bidasses et affinités extérieures…

Ci-gît l’amer

Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste entre autres [oui, je sais, c’est paradoxal de citer une psychanalyste dans ce dernier billet en regard de mon aversion envers l’approche psychanalytique en psychiatrie en ce qui concerne l’autisme, prenons ça comme un ultime signe d’ouverture et d’espoir — émoticône clin d’œil qui sourit]. Elle poursuit, avec Ci-gît l’amer. Guérir du ressentiment, [pas encore lu,] son travail autour de l’individuation et de l’État de droit…

«La philosophie politique et la psychanalyse ont en partage un problème essentiel à la vie des hommes et des sociétés, ce mécontentement sourd qui gangrène leur existence. Certes, l’objet de l’analyse reste la quête des origines, la compréhension de l’être intime, de ses manquements, de ses troubles et de ses désirs. Seulement il existe ce moment où savoir ne suffit pas à guérir, à calmer, à apaiser. Pour cela, il faut dépasser la peine, la colère, le deuil, le renoncement et, de façon plus exemplaire le ressentiment, cette amertume qui peut avoir notre peau alors même que nous pourrions découvrir son goût subtil et libérateur. L’aventure démocratique propose elle aussi la confrontation avec la rumination victimaire. La question du bon gouvernement peut s’effacer devant celle-ci : que faire, à quelque niveau que ce soit, institutionnel ou non, pour que cette entité démocratique sache endiguer la pulsion ressentimiste, la seule à pouvoir menacer sa durabilité ? Nous voilà, individus et État de droit, devant un même défi : diagnostiquer le ressentiment, sa force sombre, et résister à la tentation d’en faire le moteur des histoires individuelles et collectives. » Extrait de la présentation de l’éditeur.

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