14 août 2009 13:04 • Forêt de Comus (Aude)
Un chiffre sur deux,
tu seras père.
Fragment 3,
de je et de jeu
de je et de jeu
5 mars 2012
Fragment 3,
de je et de jeu
de je et de jeu
5 mars 2012
Parler de nous, de nos vingt ans avec Émilien prend rapidement un aspect quantifié, chiffré ; comme un besoin pas forcément conscient de rationaliser notre vie à travers des échelles de temps, de distance, de pas…
Se rassurer ? Évaluer le poids, en évacuer la charge ? Extérioriser ? Donner un sens par la matière ? Comme le ferait un captif, gravant son cas ? Avec pour chaque semaine six marques barrées d’une septième, cette dernière tirant un trait symbolique sur les six barreaux que représentent les autres.
Se proposer des traces qui prouvent que l’on avance, que l’on s’est battu et que l’on se bat encore. Et qui décomptent, forcément, puisqu’elles traduisent aussi ce qu’il reste encore à parcourir. Et de contempler tous les jours le spectacle de cette calligraphie cathartique.
Est-ce là ce que je m’apprête à faire ?
Hum. Sans horizon, celui qui a pris perpète, le captif sans issue connue ou celui qui n’a que brumes comme avenir, ceux-là s’attardent-ils vraiment à stigmatiser le temps qui passe ? Et si oui, alors, que leur reste-t-il à compter ?
« Sur une échelle de 1 à 10, pouvez-vous noter votre douleur ? »
Le praticien a pris une voix monocorde, pour en masquer tout effet rhétorique, tout l’elocutio. J’hésite, beaucoup de chiffres me viennent à l’esprit ; huit cents kilomètres de rando avec mon fils par an, combien ça fait sur cette échelle ? Et neuf mille prises de vues, combien ça fait en stimuli ? Et 20 ans en minutes ? Et mon âge en kilo de stress ? On peut compter en Playmobil ? On peut rester binaire ?
« Je dirais 5 ? »
Le praticien semble rassuré et moi itou…
J’aurais rationalisé ma douleur, n’existerait-elle donc plus ? Est-ce là ce que je m’apprête à faire ici ?
Un ami médecin, alors qu’une séance d’aiguilles tournait à la torture, me disait qu’en Chine les acupuncteurs font très mal, pour être efficients. Et que le patient l’accepte ; en partie parce que la douleur n’est pas culturellement associée au « mal », à une punition, mais est considérée comme la traduction d’un dérèglement et un signe fort de la manière dont on va le régler. D’où concentration, acceptation et reflux.
« De 1 à 10, pouvez-vous évaluer votre responsabilité ? »
Ah, ce sentiment récurrent d’avoir mal fait, d’être en faute, logiquement puni, ce sentiment qu’ont incidemment ou à dessein installé en nous depuis vingt ans diverses entités, des plus sottes aux plus doctes…
Serait-ce là aussi une donnée culturelle ? Ou le solde de ce qu’il reste de la différence après la multiplication des années.
Un, deux, trois…
Compter. En voiture, la plupart du temps, Émilien se jette sur l’autoradio, pousse le volume à fond et zappe à l’infini avec la recherche de station, en ne s’arrêtant que quelques fractions de seconde sur chaque émission…
À l’inverse, plus rarement, il arrive qu’il ne veuille plus rien écouter. Et si j’allume néanmoins l’autoradio, il le coupe aussitôt.
Alors, opportuniste et toujours curieux de me perdre dans les mystères de notre grand fils et de le détourner de ses obsessions, j’ai improvisé un jour un jeu : j’appuie plusieurs fois très rapidement sur le bouton de marche-arrêt, en comptant à haute voix. Il ne le sait pas, mais si je m’arrête sur un chiffre impair, la radio reste éteinte et inversement sur un chiffre pair.
L’appareil met un certain laps de temps à diffuser à nouveau le son, ou pas… Et Émilien reste en suspens, index tendu, ne sachant pas s’il devra lui-même agir pour maintenir le silence ou pas…
Ce court moment d’incertitude provoque chez lui un fou rire sans retenue… Que j’entretiens bien sûr. Sans retenue.
C’est peut-être ça qu’il resterait à compter, à conter aussi : quelques moments particuliers, frais d’une altérité simple et spontanée…
Armand T.
10:58
Plaine des Berges
Sauf indications contraires, textes, dessins et photographies sous © Didier-Trébosc
elocutio
En rhétorique, ce métalangage comme le disait Roland Barthes, l’elocutio est la phase d’enrichissement du discours, une fois que l’on a fait le tour des moyens de persuasion et posé sa structure. C’est là où l’on entre en littérature, où l’on choisit ses mots, où l’on compose les phrases, où l’on impose un rythme, sans lourdeurs mais avec style et figures adaptées. C’est là, juste avant l’actio, l’heure de la prestation…
En rabotant l’elocutio, un médecin dit ce qu’il se doit de dire, sans convoquer l’affect, laissé à gérer au patient.
En lisant cette note, je ne pense qu’à des chagrins qui ont la démesure de ce qui n’est pas. Moi, être mère, c’est par un psychanalyste que j’ai pu le désirer. Mais c’est aussi parce qu’il a trouvé ça (que je ne pouvais même pas penser) qu’un travail a pu commencer vraiment. C’est à dire que je dois à ce désir là la souffrance d’une histoire, la vie, et l’immense douleur de n’avoir pas d’enfant. Envers les autres de mon âge, je me suis dit, souvent, “toute sa vie on a des enfants” et puis “toute sa vie, on n’a pas d’enfant”. Mais là, c’est comme si était écrit par la même personne “toute ma vie, j’ai voulu être père”, et “toute ma vie, je n’ai pas pu le vivre”. Mais peut-être que je ne lis que des chagrins et que d’autres liront l’instant de joie.
Très joli texte. Merci encore.
cher adorable monsieur je me reconnais a travres vous je me pose toujours cette question qui me fait tres mal pourquoi moi!!!!!!je reconnais ma fille a travers votre fils que de km parcouru toujours le meme tour une crise et la voiture roulante etait la pour retrouve la calme et toujours la musique du matin au soir des nuits blanche et toujours pourquoi nous aurelie a 26 ans et etait une petite fille magnifique avec de beau yeux bleu et etait ma fierte jusque 1an et demi ou notre vie a bascule mais on se les aimes tant moi aurelie toujours ma petite
Un instant de joie, un instant de sourire, une émotion présente mais une admiration inconditionnelle pour l’artiste … Merci de nous faire partager ça..
Votre récit du jeu de l’auto-radio m’a réjoui. Il semble en outre très parlant. On imagine les pistes, sentiers, contre-allées qu’il doit falloir empreinter -vos traces-, pour se mouvoir dans le labyrinthe que vous évoquez. Des codes à découvrir, creuser, inventer. Celui de l’auto-radio n’ouvre peut-être pas les portes de notre société. Mais qu’il est beau, comparé à tant d’autres, estampillés nécessaires, comme les lacets quotidiens des souliers.
Au plaisir de retrouver la puissance de votre texte et de vos photos.
Hello maman-maman!
Emilien n’a jamais dit “papa”! Quand il était petit il avait 15 mots à son vocabulaire, aujourd’hui il n’en a plus que 3 ou 4, difficilement déchiffrables pour le néophyte. Il y a quelques années on s’est aperçu qu’il doublait le mot “maman” quand il s’agissait de toi! Je m’amuse à penser que tu comptes pour 2 mamans !
Emilien invente ; son cerveau contourne le handicap et utilise le peu d’éléments en sa possession pour exprimer ou faire ce qu’il a en tête. Par exemple il montre sa main pour dire qu’il a mal, ou il la cache. C’est la main qu’il s’est brûlée au troisième degré lors d’une chute sur le poêle à bois il y a 10 ans : il a gardé l’immense douleur en mémoire et s’en sert chaque fois qu’il a mal…
Votre blog donne envie de s’y attarder. Votre vie à tous les trois, celle d’Emilien. De très belles photos. L’émotion est palpable, la réflexion et les questions aussi.
Cher ami,
Je suis revenue te lire. Continue s’il-te-plait!
J’ai été assez longtemps instituteur en IMP. D’année en année, j’ai découvert (un peu!),ce qu’était un enfant autiste.Mais même si nous étions enseignants ou éducateurs, seulement “personnes” de la maison,nous étions ensemble pour essayer de le “lire”,de l’inviter à nous “lire”. Nous recevions les parents,souvent désemparés,et nous mesurions ce qu’ils avaient à vivre avec leur enfant. Bien peu sont assez forts pour maintenir intact l’espoir de ce “pouvoir lire”…
Merci de dire ici cette vérité qui est la vôtre.
Je reviendrai sur vos pages.
Marc.
Mais qu’il vous va bien ce texte , je l’adore, encore des larmes coulent …
Je me souviens avoir bosser plus jeune, les math avec toi, je te trouvait “trop trop trop fort”, je ne comprenais pas toujours ton chemin pour arriver au résultat mais ça me fascinait … Merci pour les moments de vie passés avec vous ils restent les plus beaux de tous, VRAIMENT !!
C’est étrange la folie, souvent je pense que si j’étais “vraiment Vrai” on me prendrait pour une folle …..
Je crois que ce Blog va être une thérapie pour moi aussi !!
Bonheur
La biche
Quel joli commentaire celui de Barbotine !!!!
Tendre …
Muse …..
Des larmes coulent…tant pis je ne les retiens pas.
Nous n’avons pas vu, pas entendu…ou tout simplement pas voulu voir, pas voulu entendre…je me questionne beaucoup …fallait-il ce blog pour découvrir votre vie au quotidien?
Très beaux textes pleins de poésie!