8 août 2009 14:19 • Forêt de Prades, Ariège
Où il n’est pas question
de noircir le tableau…
Fragment 9,
de toile et de pigments
de toile et de pigments
30 mars 2012
Fragment 9,
de toile et de pigments
de toile et de pigments
30 mars 2012
Aujourd’hui, Émilien va bien, il sourit tout le temps, aime vivre et aime manger, et partager sa vie avec nous. C’est une gamme de couleurs à lui tout seul.
Alors, en ce début de printemps, après accumulation de sombres récits, je nettoie un peu ma palette où les tons finissent par se mélanger pour des bruns, des gris, des noirs ; tonalités qui, même si elles sont dominantes, ne devront pas écarter une notion fondamentale : Émilien, comme tout enfant pour tout parent (je suppose, j’espère ?) reste une puissante raison de vivre ; et si j’allais dire survivre, ce qui est vrai, même au sens propre, c’est ici pour en dégager la valeur de vivre au-dessus.
Émilien nous a forcés à puiser au plus profond de nos ressources, ce qui est forcément positif ; et quand j’en trace ici une image, une représentation et que je perçois un tableau si sombre, j’ai un peu honte ; et en cette période où naissent toutes les lumières (au moins dans la nature), par quelques contrepoints qui l’égaient, qui lui donnent sa vie, je tenterai en quelques touches d’en proposer la composition.
S’il s’agit d’un tableau, il faut comprendre d’abord un cadre, celui qui nous contient, sociétal, imposé par des lois physiques et morales. Un peu trop épais, mais jamais trop pour Émilien – il paraît ; à ce que l’on nous a dit… Quel beau mot que ce « cadre » qui contient tant d’espérance !
Dans le fond, chacun de nos pas pose un nouveau glacis — fine couche de couleur translucide —, sur un autre glacis, à la recherche de la profondeur du sfumato. Quand Da Vinci met au point cette technique picturale, c’est évidemment pour emporter l’émotion, proposer au regard une vibration profonde et vertigineuse. Nous avons aussi ce besoin de dépasser le pur constat, avec cette mise en vapeur, en fumée qui correspond pour nous à cette part d’indéfinissable, d’imprononçable quand l’on nous dit « mais comment faites-vous ? »… Sans doute qu’en réaction à une vie trop concrète il a fallu accumuler les glacis pour atténuer les contours du sujet, de notre sujet, aux angles trop saillants ; à la recherche d’un véritable horizon, d’une vibrante ligne de fuite.
Au-delà du sfumato , là où se sculptent les nuages, un grand aplat bleu, un grand fond de smalt et de cobalt, omniprésent. Là où Émilien, le nez en l’air, semble chercher souvent une accroche pour engager sa conversation, quand il désire nous montrer qu’il est là et qu’il existe. Un doigt pointé en l’air et son regard qui attend nos mots ; une traînée d’avion, un avion, un bruit qu’il montre toujours venant d’en haut et d’autres points d’attention, d’intérêt, pas toujours très clairs.
Plus avant, dans une gestuelle pollockienne, un tachisme subconscient : comment pourrais-je occulter ces centaines de fleurs, projetées éparses, mais organisées, multicolores, mais jaunes surtout, dans l’écrin naturel de nos randonnées. Et moi, le combattant, le trapu, que ces échappées ont rendu contemplatif, partenaire et confident d’une saisonnalité florale et d’une temporalité autistique, et moi de les fixer en centaines d’images d’une nomenclature géolocalisée sans plus de sens que le pur constat d’un certain plaisir à vivre… Et de faire de leurs myriades le reflet quantifié de nos pas.
Fuyant, vers l’infini, le ruban d’ocres rouges et jaunes, ruban de notre parcours, constellé de pierraille, quand Émilien regarde ses pieds en marchant et que je l’imite, pour voir.
En plan rapproché, dans l’accumulation printanière des verts, un trait de vert fluo. Une zébrure fugace, mouchetée de noir, lourde et longue, c’est la livrée de notre hôte, en ces collines ; le lézard vert sur son territoire, farouche, dont nous n’aurons jamais une franche autorisation d’aller.
Et quelques rouges purs, signalétiques, formels, incongrus, posés là par l’homme, dans l’idée étrange de se prévenir et de s’interdire lui-même de certaines choses… Avec des mots étranges dissertant sur la propriété, le danger, le gibier et les balles, l’appellation et l’identification.
Dans une scène, en retrait, les teintes du rituel : saturées des fruits et des agrumes, le blanc d’os du manche du couteau. Nous y sommes, saisis dans des attitudes signifiantes et composées.
Et puis des noirs profonds, aussi, encore, éclats d’encres de Chine, puits sans fond, gouffres cachés dans ce tableau champêtre ; mais pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, Émilien va bien, il sourit tout le temps, aime vivre et aime manger, et partager sa vie avec nous. C’est notre gamme de couleurs à lui seul. C’est d’ailleurs la seule gamme connue.
Alors, je referme ce tube de Noir de Mars, de suie ; intense, sobre et sombre, celui de Munch, celui qui trace le Cri. Et lui donne sa violence. Une édifiante violence. Mais pas aujourd’hui…
Armand T.
10:40
Vallon de la Dispute
Sauf indications contraires, textes, dessins et photographies sous © Didier-Trébosc
Pollock…
“Inventeur de l’action painting, Jackson Pollock (1912 – 1956) est l’un des grands noms de l’expressionnisme américain. Taciturne et violent, rongé par son addiction à l’alcool, au bord de la folie, entre performance et peinture abstraite, l’artiste a eu une influence considérable sur l’école américaine en dépit de sa mort précoce.” beauxarts.com
sfumato
“La perfection de la technique picturale de Léonard de Vinci a toujours fasciné, notamment son célèbre « sfumato » qui adoucit les contours et enveloppe les paysages d’une légère brume. Si l’artiste florentin a exposé certaines de ses théories dans son « Traité de la peinture », on sait en revanche peu de choses de la façon dont il travaillait concrètement.” lesechos.fr
Munch
“Un puissant vortex qui aspire un paysage mouvant au ciel cramoisi, d’où surgit une pure figure d’effroi, résumant à elle seule l’angoisse existentielle… Œuvre iconique du Norvégien Edvard Munch (1863–1944) peinte en 1893, ce panneau de carton est devenu l’étendard de l’expressionnisme alors même que ce mouvement n’apparaît vraiment que dix ans plus tard ! ” beauxarts.com
« Ne peut avoir été peinte que par un fou »
“L’artiste a peint quatre versions du Cri entre 1893 et 1910; celle appartenant au Musée national de Norvège est la seule qui porte la mystérieuse inscription [«Kan kun være malet af en gal Mand!»] Le tableau, qui symbolise aujourd’hui l’angoisse de l’ère moderne, vient d’être restauré avant d’être exposé dans le nouveau bâtiment du musée, qui doit ouvrir ses portes à Oslo l’année prochaine.” artnewspaper.f
Bonjour,
Je trouve que vous écrivez moins bien le bonheur ou l’évidence du bonheur que la difficulté et le courage d’investir la vie alors que les évidences sont douloureuses et difficiles. Dans ce texte, je pense qu’il aurait fallu qu’il y ait Emilien ou vous comme sujet dans toutes les phrases.
Je trouvais déjà, dans les autres photos de lui, qu’Emilien était beau. Son portrait aujourd’hui en en-tête m’a donné une grande joie.
Acceptez d’avance mes excuses pour ce que je me permets de vous dire, et soyez assuré que je ne le fais pas pour dire ce qu’il faut faire, mais parce que je lis vos textes.
Bonjour Claire-Hélène,
Je mène ce blog sans recettes, sans a priori, sans d’autres soucis que de rester juste et sincère dans l’écriture de ce que nous vivons. Cela passera par différents registres d’expressions, selon les jours, les ressentis, le sujet.
Là, je proposais une mise en couleur métaphorique, qui a pour nous un sens culturel aussi ; parce que j’ai senti d’exprimer ainsi ce qui était peut-être une prise d’air pour moi entre deux séries de récits par trop étouffants.
Je n’accepte pas vos excuses parce que vous n’avez tout simplement pas à vous excuser. Au contraire, tout avis est constructif comme je l’ai dit plus haut, et je vous remercie chaleureusement ici, comme d’autres, de contribuer de manière si enthousiaste et régulière à donner de nouveaux reflets à ce modeste blog.
Armand T.
“Qui chevauche si tard à travers la nuit et le vent ?
C’est le père avec son enfant…”
Goethe, Le roi des aulnes
Il y a aujourd’hui l’article d’un pédopsychiatre à propos de la scolarisation des enfants autistes dans Libération.fr, et, à cette occasion, je retrouve une pensée éprouvée à la lecture de “un chiffre sur deux tu seras père” : “qu’est-ce que ce doit être douloureux d’être vécu comme dangereux par son propre enfant”. J’ai imaginé qu’il y avait peu de rencontre narcissique avec un enfant autiste : j’entends par là d’écho de cette vie humaine qui est celle du “sien”, de son enfant (les espagnols sont malins et disent hijo mio, et pas juste mio hijo, pour dire quelque chose de ça : c’est un possessif dont on dit toujours qu’il ne faut pas qu’il soit, mais dont je pense que pour les personnes à même de vivre des bonheurs variés, il construit beaucoup du narcissisme de l’enfant autant que de l’évolution de cette vie donnée pour les parents)
“Où il n’est pas question de noircir le tableau” exprime le bonheur d’être père mais l’importance de vos textes a inscrit l’autre réalité aussi, qui au fond, n’existe que par l’importance de cet enfant.
Je pense qu’Emilien n’a pas pu être scolarisé avec des enfants “normaux”. Est-ce juste ?